Fernest Arceneaux : le zydeco à l'ancienne

A 60 ans il représentait l’un des derniers remparts au nouveau zydeco matiné de rap et de funk. Rencontre avec celui qui portait encore très haut les couleurs du zarico longtemps passé et auteur du légendaire  Zydeco Boogaloo :

 

 

 

 

 

Tu tournes en Europe depuis 1979, comment le public a-t-il réagi lors de tes premières venues ?

 

Le public fut tout d’abord surpris de découvrir cette musique jusque là connue seulement de quelques initiés mais aussi très réceptif. Les Allemands en particulier furent étonnés de voir comment un accordéon boutons (diatonique à trois rangées) pouvait sonner comme un modèle piano très répandu là-bas tel que celui de Clifton Chenier qui lui se produisait déjà dans le nord de l’Europe.

 

A propos de Clifton, quelle influence a-t-il eu sur toi ?

 

J’ai commencé à jouer de l’accordéon en 1952 à l’age de 12 ans puis, suite à une opération de l’œil, je me suis mis à la guitare avant de revenir à l’accordéon trois ou quatre ans plus tard. C’est lui qui m’a dit de persévérer dans cette voie et que je gagnerai de l’argent grâce à cet instrument. Car à cette époque les jeunes se détournaient déjà de l’accordéon, influencés par Chuck Berry ou Guitar Slim. J’ai donc du me perfectionner auprès des anciens. Pour lui le zydeco, le blues étaient des musiques intemporelles, universelles et il avait raison, il était visionnaire. Il est le roi indétrônable du zydeco !

 

T-a-t-il fait profiter de son expérience ?

 

Si je suis ce que je suis aujourd’hui c’est grâce à lui. A l’époque je ne jouais que le week-end et le reste de la semaine je travaillais au garage avec mes frères. Il m’a présenté Robert Sacré, spécialiste belge des musiques afro-américaines, qui m’a trouvé des engagements en Europe avec le promoteur allemand Ralf Shubert, ce qui m’a ensuite permis de passer pro.

 

Ton grand-neveu Corey Arceneaux, qui a déjà enregistré, joue également du zydeco. Où en est sa carrière ?

 

Il continue à se produire mais uniquement aux alentours de Lafayette où il réside. Il est marié et travaille pour une grande brasserie, il ne peut donc pas voyager pour des tournées et sa carrière reste locale.

 

Que penses-tu du nouveau zydeco auquel les jeunes semblent de plus en plus s’intéresser ?

 

Il n’y a qu’un seul rythme et quand as entendu un morceau tu les as tous entendus. Je joue ce que les jeunes devraient écouter, le zydeco traditionnel, le vrai. Nous sensibilisons les jeunes à cette musique et ça porte ses fruits. Je me produis dans les écoles avec un bassiste et une drum machine par le biais des programmes éducatifs. Ils redécouvrent cette musique et l’apprécient. Il y a même des formations de zydeco traditionnel créés par des blancs qui se multiplient avec frottoir et tout ça, mais ils ne sonnent pas comme nous.

 

Sur tes premiers enregistrements tu faisais appel à des chanteurs comme Bobby Price ou les frères Morris. Pourquoi n’occupais-tu pas ce poste ?

 

A l’époque le chant ne m’attirait pas, c’est quelque chose que je ne sentais pas donc je le confiais à d’autres. Mais c’est devenu un handicap quand j’ai commencé à me produire hors de Louisiane car ces gens là étaient mariés et / ou salariés et ne pouvaient donc plus m’accompagner. Moi j’étais célibataire. J’ai donc fait mon apprentissage du chant et comme ça j’ai pu continuer à voyager.

 

Tu as fais tes touts premiers enregistrements sur le label Blues Unlimited, comment se sont déroulées ces sessions ?

 

A l’époque tout le monde enregistrait là-bas chez J.D. Miller à Crowley, La. Il mettait le studio à disposition des musiciens et pressait les disques sous son label. Il était à la production et son fils Mark à l’enregistrement. Il ne nous a versés des royalties que deux fois et des sommes ridicules, alors…

 

Sur ton dernier album figure un morceau cajun, J’ai passé devant ta porte, ce qui paraît étonnant car les deux communautés ne se fréquentent guère.

 

En fait ce titre fait partie de la culture collective louisianaise car mon père, bassiste et accordéoniste, me le chantait déjà alors que j’étais tout jeune. Ce sont les instrumentations qui diffèrent. Pour les cajuns le white beat se caractérise par le violon et la steel guitar alors que pour nous c’est le jumpin’ style. Mais cela ne nous empêche pas d’avoir des visions communes de la musique : John Hart étant souffrant au moment de l’enregistrement c’est Jerry Jumonville qui l’a remplacé au saxophone.

 

Propos recueillis par Benoît Henault le 20 mai 2001 au 9e festival cajun et zydeco de Raamdanksveer (NL)