Zydeco Joe

 

Rencontré à Saulieu en août 2005, Zydeco Joe Mouton était un des plus brillants représentants d'un zydeco traditionnel chanté en créole, où l'apport des musiques actuels (funk, rock, reggae... ) est absent. Lors de l’interview il se livrait sans far, touchant de sincérité, évoquant son enfance musicale, son apprentissage de la musique, son dernier disque, sa fierté de parler créole... Nous avons pris le parti de reproduire le plus fidèlement possible son français si savoureux, même si certaines expressions où tournures de phrases peuvent parfois dérouter le lecteur. Les parties en italiques sont celles où il s'exprime en anglais. Voici donc un portrait de Zydeco Joe par Zydeco Joe.

 

J'ai été élevé dans la campagne toute ma vie. J'ai été à l'école, j'ai récolté le coton, le maïs, j'ai fouillé les patates. Moi je suis un vrai créole ! 

 

Quand j'étais petit la musique c'était joué avec l'accordéon et le frottoir. Y avait juste ça. On jouait et on avait du bon temps. J'étais bien vaillant en ce temps.

 

Le La La music était pas blues comme je joue. Zydeco et La La c'est un 'tit peu différent. La La est plus habituel du côté des cajuns.

 

(Parmi les musiciens qui jouaient quand j'étais jeune il y avait ) Paul McZiel, Paul Harris *... Paul, il était beaucoup bon à jouer le zydeco. Ils sont tous morts. C'était pas des connus. Ca a jamais été on the radio, dans les interviews. En ce temps là il y avait pas tout ça. Moi, avec mon âge, je les ai vu jouer dans les bals de maison et tout partout. Un jour, j'ai emmené Paul Harris au radio KRVS**.Tout les samedi matins à six heures jusqu'à midi ça joue le zydeco. Tous ensemble, depuis seize ans on est la-bas à causer et le monde espère ça. Quand Paul Harris a joué le monde a appelé toute la journée pour que ça joue encore. Comme çà le monde a connu le son de l'accordéon, la manière ça avait été jouer créole avant. 

 

A c't'heure j'ai soixante et quelques années. Je montre souvent à un tas de monde comment c'était joué quand j'étais jeune, comment ça a commencé dans mon temps. Hier, J'ai commencé une chanson juste avec l'accordéon, puis j'ai mis le frottoir. J'ai joué un bout de temps juste comme ça, et puis là j'ai mis les basses et les drums. J'ai joué pour donner une idée how la musique est sortie. Tu comprends, j'ai été bien vaillant de faire çà, bien content.

 

J'ai commencé par jouer de la guitare jusqu'à l'âge de seize, dix-sept ans. Puis j'ai quitté la musique jusqu'à quarante quatre ans.  Je me suis marié, j'ai eu une famille.  Tu connais comment je joue. L'homme qui m'a montré était dans le film Marron, Duddley Broussard (**). C'était le père à ma femme. Il m'a montré comment joué l'accordéon, du mieux qu'il a pu, avec une seule main sur les touches. Il m'a dit : « tu as une bonne oreille, tu dois apprendre ! ». Il ne m'a pas enseigné longtemps, un an peut-être, car il est mort.

 

Je joue dans le style à Clifton Chenier. C'est une musique formidable. Quand j'ai fais le dvd Louisiana Blues on a causé pour l'interview à coté du van à Clifton. C'était il y a dix ans. J'ai dis, un homme qui était si haut, si populaire dans le pays, c'était honteux de voir que ses affaires avaient gone down, tout cassé. Quand t'es vivant, It's allright. But when you're dead, you're gone. Le monde devrait prendre quelques dollars et mettre ses affaires dans un museum, ou autre part, pour le préserver. 

 

Quand j'ai commencé à jouer ma belle mère m'a dit : « il faut que tu chantes un tas créole ». J'ai dit ok, je vais essayer. Je suis le seul à jouer comme ça. Tu vois, le français c'était mon premier langage. Ma grand-mère m'a élevé et elle ne parlait pas américain, juste français. C'est pour ça je chante un 'tit peu plus en français.

 

Beaucoup de Français viennent en Louisiane. Nous passons beaucoup de temps à parler ensemble et nous n'avons aucun problème de communication. Une seule chose. Lorsque je parle créole ils me demande d'aller moins vite. Et quand ils parlent français je leur demande souvent de répéter (rires). Je suis vraiment fier de parler créole car j'ai pu rencontrer plein de gens de différents pays et me faire plein d'amis.

 

Sur mon dernier cd je chante en anglais, mais la chanson numéro trois, Poppa jack, c'est en français. Poppa Jack, c'est mon vieux n'oncle. Il a cent deux ans à c't'heure. Il danse toujours. Il a encore bonne idée ! C'est magnifique. Il était un joueur d'accordéon un 'tit peu.

 

Un musicien cajun m'a aussi beaucoup aidé, Walter Mouton***. Il est de Breaux Bridge. Il m'a beaucoup impressionné et j'aime beaucoup sa façon de jouer, le son qu'il a. J'ai aussi enregistré avec Steve Riley au frottoir, avec le guitariste slide Sonny Landreth et avec un groupe anglais dont je ne me souviens plus le nom.

 

Tu connais, cajuns et créoles, c'est tout le même monde. J'ai jamais fait de différence de ma vie. J'ai fais cette chanson, la Cour à mama Fred : « y n'a des cajuns, y n'a des créoles, tout quelqu'un fait avoir un bon temps ». Et pas songer des affaires qu'a arrivé longtemps passé. Oublier ça ! Ma mère, tout quelque chose ça donnait à tout le monde. On jouait dans la cour et on invitait tout quelqu'un. Quand je jouais là, y avait plein de couleurs, des cajuns, des créoles, des mexicains...

 

Aujourd'hui la situation entre cajuns et créoles en Louisiane est bien meilleure. Je pense même que le zydeco est en grande partie responsable de ce changement. Il y a longtemps les cajuns n'aimaient pas la musique. Puis le zydeco est devenu très populaire, surtout chez les danseurs. Et ça a amélioré les choses. 

 

Quand tu joues zydeco, tu joues ta culture. Tu puises au plus profond de tes racines. Si tu rajoutes du rock and roll, du rap, tu ne joues plus du zydeco. Mon grand-père m'a dit un jour : « si tu sais pas d'où tu viens, tu sais pas où tu vas. Quoi que tu fasses, où que tu ailles, n'oublies jamais d'où tu viens. Gardes cela en tête ». Et j'ai aussi le message de Jesus Christ, aimez vous les uns les autres. J'aime les gens. Je fais du mieux que je peux pour vivre avec amour.

 

 

Propos recueillis par Philippe Sauret.

 

 

*Paul McZiel a enregistré trois titres disponibles sur la compilation Zydeco. Volume 1 : The Early Years (Arhoolie).  Quant à Paul Harris, il n'a pas laissé d'enregistrements mais une photo de lui est présente dans le livre de Ben Sandmel, Zydeco !, page 99 (University Press of Mississippi). Il fut le professeur d'accordéon de Thomas « Big Hat » Fields.

 

**KRVS peut être écoutée tous les samedi sur internet de 13 heures à 19 heures, heure française, sur www.krvs.org.

 

*** Zydeco Joe confonds. C'est dans le dvd Louisiana Blues qu'on voit son beau pêre Duddley Broussard dans sa maison de retraite. Victime d'une attaque cardiaque, il a le coté gauche du corps paralisé. Zydeco Joe participe aussi au formidable documentaire Marrons du cinéaste québécois André Gladu.

 

*** Walter Mouton Jr n'a enregistré qu'un single en 1970 en compagnie des Scott Playboys, The Scott playboys special. Il est surtout connu pour animer depuis plus de trente cinq ans le club La Poussière à Breaux Bridge. 

 

***** Steve Riley, Bayou Ruler, Rounder. Sonny Landreth, The Road We're On, Sugar Hill Records. Par contre, pas d'informations sur le groupe anglais mentionné par Zydeco Joe.