j Paul Jr : le zydeco rebel

« Un son nouveau dans le zydeco, ça ne peut être que J Paul & the New Breedz. Pour moi il n'y a pas meilleur » David Greely*.

 

 Avec J Paul Jr c’est l’occasion de présenter l’un des artistes les plus talentueux du nouveau zydeco, un musicien qui cristallise autour de lui toutes les passions. J Paul Jr en effet fait partie de ceux qui sont allés le plus loin en mariant tradition et musiques actuelles. Il qualifie lui-même son style ainsi : du zydeco urbain, mélangé à du hip hop, du RnB contemporain et du gospel tout en ayant conservé une touche de ruralité ! Cette fusion des genres lui a valu à la fois le respect et l’admiration des plus jeunes, attirés par le nouveau son qu’il a créé, mais aussi souvent l’incompréhension, voire le rejet de la part des plus vieux.

 

J Paul Jr est né sous le nom de Paul Lawrence Grant II à Houston, Texas, mais il passé son enfance à Conroe, petite communauté à une cinquantaine de kilomètres de la ville où il a vu le jour. Il commence à jouer dés l’âge de cinq ans de la batterie dans l’église de son père, le pasteur baptiste Paul Grant Sr. Il y apprend aussi la basse, la guitare et le chant. A 21 ans il intègre comme batteur l’orchestre de Step Rideau avec qui il reste durant trois ans. C’est à ce moment qu’il achète son premier accordéon, écoutant avec attention les disques de Clifton Chenier et de John Delafose. En 1996, se sentant enfin suffisamment prêt, il fonde son propre groupe, les Zydeco Newbreeds, et commence à écumer clubs et kermesses des églises catholiques de Houston. C’est cette même année que son père acquiert le Praise Recording Studio pour enregistrer des formations religieuses. Grâce à ce studio J Paul peut sortir une première cassette, laquelle arrive entre les mains de Mike Lachney, un producteur découvreur de talents pour la marque Maison de Soul. En 1997 les seize titres de cette cassette sont édités en cd sous le nom de Takin’ Over, permettant ainsi aux amateurs de découvrir un excellent accordéoniste et un chanteur fortement marqué par le gospel. Ils montrent surtout un artiste qui s’affirme avec douze compositions originales parmi lesquels de nombreuses perles comme She Messed Up, l’hypnotique Bad by myself, J Paul two step (une nouvelle danse que les Newbreeds entendent bien lancer) et surtout On The rise,  une réponse direct au Only the strong survive de Keith Frank. Quant aux reprises, elles montrent bien les nouvelles sources d’inspirations de ce jeune musicien : James Brown (Think), Curtis Mayfield (It’s all right) et le groupe de doo-wop les Five Satins dans une version que n’auraient pas reniés les Boyzs II Men (In the still of the night).

 

Dés lors le groupe acquiert une nouvelle notoriété qui lui permet de sortir de Houston pour jouer dans les clubs et les festivals du crawfish circuit. En 1998 les Newbreeds reçoivent de la part de la National Zydeco Society le prix Clifton Chenier du meilleur nouveau groupe tandis que John John Robinson est désigné frotteur de l’année. Dans le même temps J Paul est cité par Michael Tisserand dans son livre Kingdom of Zydeco comme l’un des nouveaux jeunes lions à suivre dans l’avenir. Mais l’article le plus important est peut-être celui que lui consacre Ben Sandmel dans son ouvrage Zydeco !, le désignant comme l’archétype même du nouveau zydeco en prenant comme exemple sa chanson Bad by myself.

 

En 1999 J Paul signe avec le label Skyy Productions, ce qui lui permet une distribution nationale de ses disques, toujours produits avec l’aide de son père. Deux nouveaux enregistrements paraissent, Use Me Up, introuvable aujourd’hui, et surtout l’incontournable Another Level, un des efforts les plus novateurs et les plus excitants du nouveau zydeco. D’entrée J Paul se met en scène devant une cour de justice qui lui reproche ses innovations et ses écarts par rapport à la tradition. C’est ce qu’il revendique dans le morceau éponyme de l’album sur lequel interviennent les rappeurs KB, Money Black et Madd Hatta, et à la fin duquel il plaide évidemment coupable. Ce qui est stupéfiant dans ce disque, c’est cette facilité qu’à J Paul d’incorporer à la musique créole toutes les musiques américaines actuelles à la mode sans choquer : le rap avec Another level déjà cité, mais aussi la musique religieuse avec le beau zydeco-gospel Soon and very soon et des chœurs comprenant le révérend E. Stewart ; le funk avec un solide solo de basse de Ronald « Weisel » Lewis sur Uh ! uh !, mais également la pop avec What about how I feel dans lequel il reprend du Georges  Michael ! Et dans un registre plus traditionnel les Newbreeds  se montrent tout aussi convaincants avec des pièces comme Lil’ reb, There you go zydecoing again et le maintenant classique I’m a Texas man. Bien sur il y a des morceaux plus faibles comme Really trying to get your love ou l’interminable ballade I Need you right now qui évoque fortement R Kelly, mais l’album est une petite révolution et il est très bien accueilli par la critique. Cela permet à J Paul cette année là puis la suivante de se produire au prestigieux Jazz Festival de la Nouvelle Orléans.

L’année 2000 voit la parution d’un nouveau disque à la pochette surprenante, kitch à souhait, montrant un J Paul assis sur un trône devant un temple égyptien sous un ciel rouge zébré d’éclairs ! Phenomenom, ce nouvel opus, surprend moins et est conçut sur le même modèle qu’Another Level. On retrouve le même type d’introduction parlée en début de disque, le même cocktail fait de zydeco-rap (Throw It Up), de morceau fortement marqué par le gospel (Tyme 2 zydeco), de rythmes hypnotiques idéales pour la danse (Come back nikki et surtout Same groove), sans oublier l’incontournable ballade RnB ici chantée par le guitariste Raymond « Rambo » Williams (Love will Make a change). Peu de changements donc même si l’écriture reflète l’air du temps, les Newbreeds s’étant changés en Nubreeds et les abréviations étant devenues de rigueur (U au lieu de You, Two remplacé par 2). La nouveauté de cet album par rapport au précédent vient surtout de l’hommage rendu aux anciens. J Paul reprend deux morceaux de Clifton Chenier, un endiablé Zydeco sont pas salés rebaptisé Old time zydeco, et Farmers waltz, une très belle valse bien dans la tradition. Mais le morceau le plus réussi est sans doute Where my soldiers at dans lequel il cite ses maîtres disparus (Amede Ardoin, Boozoo, Clifton, John Delafose, Beau Jocque…) et se pose naturellement et non sans raisons comme leur digne successeur.

En  2001 sort Who Do U Love ? sur le label Louisiana Red Hot, qui confirme tout son talent avec de belles compositions comme  Do The Ideco, All About Love ou l’hypnotique Let It Go. Au chapitre des reprises on notera une belle version de Boozoo’s Breakdown et surtout un magnifique Mother’s Love d’Earl King, seul à l’accordéon.

 

Une belle carrière internationale semble promise au zydeco rebel. Malheureusement J Paul va se griller auprès des organisateurs de festivals à cause d’un manager âpre au gain. Ce dernier va multiplier les signatures de contrats, engageant parfois son poulain pour plusieurs concerts le même jour à la même heure à des endroits différents. J Paul ne pouvant assurer toutes ses dates,  il acquiert une réputation exécrable, celle d'un musicien ingérable, incapable d’honorer ses dates. Bientôt plus personne ne veut le programmer en dehors de sa ville de Houston. Un malheur n’arrivant jamais seul, son frotteur John Robinson est victime d’une septicémie qui l’oblige à quitter le groupe. Son guitariste, son batteur et son bassiste s’en vont peu après.

Sur le plan musical la qualité de ses disques s’en ressent. Deeper, son album suivant, malgré un manque de promotion totale, est une grande réussite qui rapproche encore un peu plus zydeco et rnb, avec des morceaux comme Every Little Help, Almost Gotta Way ou B Mine. En revanche ces deux enregistrements suivant, Zeality et Diary Of A Zydeco Rebel, sont indignes d’un artiste de sa stature, mal produits et mal enregistrés.

 

Pourtant J Paul Jr bénéficie toujours d’un public fidèle sur Houston, notamment de la gente féminine. Après quelques années à avoir touché le fond le zydeco rebel semble revenir au premier plan. John Robinson a vaincu sa maladie et est de nouveau à ses cotés, de même que son guitariste, Raymond « Rambo » Williams, devenu son directeur musical. Le choix d’un nouveau manager compétent est aussi pour beaucoup dans ce retour. Si J Paul ne rejoue toujours pas dans les grands festivals internationaux, il est de nouveau reprogrammé régulièrement en dehors de H-Town en Louisiane, dans des clubs prestigieux comme le Slim’s Y-Ki-Ki ou le Zydeco Hall of Fame (ex-Richard’s Club). Scorpio, sorti en 2006, témoigne de ce renouveau (Voir la chronique), confirmé cette année encore par son nouveau disque, Stronger. Gageons que les années noires de ce musicien sont derrière lui.

 

 

 

 Discographie :

 

Texas Can Zydeco And Now You Know, Indépendant.

Takin’ Over, Maison de Soul.

Use Me Up, Skyy Productions.

Another Level, World Wide Music.

Phenomenom, Skyy Productions.

Who Do U Love? Louisiana Red Hot.

Deeper, Indépendant.

Zeality, Indépendant.

Diary Of A Zydeco Rebel, Indépendant.

Live in Crosby 2000, Indépendant.

Scorpio, Indépendant.

Stronger, Indépendant.