Quatrième jour

Mardi. Pas de musique aujourd'hui, l'activité des clubs se concentrant essentiellement en fin de semaine. Ce jour est donc consacré à la visite d'un lieu incontournable pour tout amateur de musique créole qui se respecte. Au fil de mes lectures sur le zydeco de Houston un endroit était sans cesse mentionné, le fith ward, et plus précisément french town. Dans mon esprit j'imaginais une ville dans la ville, une sorte de chinatown créole avec ses habitants parlant français, ses rues écrites dans la langue de Molière.

Un coup d'œil sur la carte allait mettre à mal certaines de mes convictions. Par exemple, je croyais que french town et le fith ward désignaient un seul et même lieu. Pas du tout. French town n'est qu'une infime partie du fith ward, un block d'un peu plus de 2 kilomètres carré délimité au Nord par Crane Street, au Sud par Liberty Road, à l'Ouest par Jensen Drive et à l'Est par Russell Street.

French town
French town

Autre idée fausse : au vue des relations souvent très proches existant entre zydeco et blues – n'oublions pas que Lightnin' Hopkins et Clifton Chenier étaient cousins par alliance – je m'imaginais que les third et fith wards étaient proches. La encore j'avais tout faux, les deux districts étant distants de plus de 12 km et séparés par le Buffalo bayou.

 

En route donc vers ce lieu mystérieux. Je prends mon sac et me dirige gaillardement vers l'arrêt de la ligne 6 du Metro, mot qui désigne comme son nom ne l'indique pas la compagnie en charge du réseau d'autobus de la ville. Après une demi-heure d'attente il arrive enfin. J'entre mon billet d'un dollar dans la machine puis me dirige tout au fond de l'engin, l'avant étant déjà bien occupé. L'autobus est spacieux, les sièges confortables mais la clim' assourdissante. Nous quittons downtown, traversons le Buffalo bayou, puis prenons Jensen Drive direction plein Nord. En chemin nous passons devant un long bâtiment en briques rouges sur lequel est marqué en grosses lettres « Hot tamale for sale ». Je pense immédiatement à la chanson de Clifton Chenier, Hot Tamale Baby. Plus tard j'essayerai de retrouver ce restaurant pour prendre une photo. En vain. Passé la rivière le paysage change brutalement. Plus de rues tracées au cordeau, plus de gratte-ciels, mais une longue route poussiéreuse qui s'étend à perte de vue. De part et d'autres des bâtiments abandonnés et des terrains vagues. Sur la droite un ferrailleur et son stock impressionnant de voitures en tout genres, monceaux de pièces détachées attaqués par la rouille. Plus loin des entrepôts près desquels sont stationnés d'énormes camions. Je commence vraiment à m'inquiéter devant ce spectacle de désolation.

Entrepot sur Jensen Drive
Entrepot sur Jensen Drive

Après une demi-heure de route je descends du bus et me retrouve au milieu de nulle part à la croisée de Jensen et de Calvalcade Street. Le temps s'est couvert. Le ciel est gris et une fine pluie rafraîchissante commence à tomber. Je me dirige à l'Est et franchi l'imposante highway 59. Sur ma droite le nom d'une rue, Des Chaumes Street, me confirme que je me trouve bien au bon endroit. A ce moment le paysage change de nouveau.

 

J'entre dans un quartier résidentiel avec ses petites baraques individuelles et ses pelouses bien entretenues. Il y a bien quelques maisons à l'abandon mais dans l'ensemble l'endroit semble être respecté par ses habitants. Pas de graffitis sur les murs, pas de terrains vagues, pas décharges publiques, pas de détritus à terre… Je suis bien loin du spectacle désolant que j'avais pu voir à New Orleans – maisons détruites, murs éventrés, quartiers en décompositions – et que je m'attendais à retrouver ici. En ce début d'après midi il y a peu de monde dans les rues : deux adolescents qui jouent sur un vélo, une femme qui descends de sa voiture… Seul un type sortant d'une épicerie me regarde longuement, se demandant sûrement ce qu'un Blanc peut faire ici. Je presse le pas et ne tarde pas à trouver le premier but de mon voyage. Devant moi se dresse une grande baraque en bois peinte en bleu et blanc, entourée d'un chapelet de guirlandes éteintes. Au dessus de l'entrée un grand panneau lumineux, éteint également, indique Mr A's The Club. Sur le toit une affiche informe, « J Paul, tout les mercredi soirs ». L'endroit est désert. Je remarque juste à l'arrière du club une longue terrasse qui semble ne pas savoir été utilisée depuis longtemps et dont la rambarde est dans un état de délabrement avancé.

Après quelques photos je continue mon chemin et bifurque à droite, plein Sud, sur Russell Street avant de me retrouver sur Crane Street. Je suis à la recherche du Silver Slipper, le plus vieux club encore en activité de Houston. Et la surprise. C'est n'est pas un mais plusieurs clubs que je découvre. Sur ma droite le CC's Club, petite maison grise d'où partent des fanions multicolores. Un panneau annonce : « No drugs allowed in this premises ». A gauche le Made It Chance Club et sa façade grise, puis une drôle de boutique, Moss Music, qui fait également barbier. Un panneau annonce Open mais je n'ai pas le courage d'entrer.

Plus loin au 3717 le fameux Silver Slipper tenu depuis plus de quarante ans par la famille Cormier. L'enseigne annonce Hi Steppers le vendredi, Curley Joe.- le groupe du patron - le samedi et musique gratuite le dimanche. Ici se produisaient régulièrement Clifton Chenier et Lightnin' Hopkins dans les années 50.

Je termine sur Crane et emprunte Brewster Street afin de rejoindre Collingsworth. La se trouve peut-être le club le plus prestigieux de french town. Celui qui bénéficie avec le Silver Slipper de la plus grande réputation. Tenue par Doris McClendon durant plus de trente ans et jusqu'à sa mort en 1997 le Continental Ballroom a vu défiler les plus grands musiciens de zydeco. Clifton, bien sûr, mais aussi LC Donatto, le légendaire Lonnie Mitchell, les Sam Brothers Five, plus récemment Step Rideau ou Lil Brian. Un nouveau club se dessine devant moi, le Joyce's Club, Hole In The Wall. Zydeco, R&B, Disco indique un grand panneau. A l'entrée une affiche du prochain Southern blues festival qui aura lieu le sept mai prochain à Crosby avec Bobby Blue Bland, Shirley Brown, J Blackfoot… Il s'agit bien du Continental Ballroom racheté par un nouveau propriétaire et rebaptisé. Fin de la visite. Je quitte french town, retrouvant Jensen et le bus qui me reconduit au centre ville.

 

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