Troisième jour

Non. Le downtown n'est pas zone morte ! C'est ce que j'ai pu constater en ce premier jour de semaine. Cette matinée les gens se pressent pour se rendre à leur travail dans les gratte-ciels. J'en profite pour explorer le cœur de la ville et découvre enfin comme indiqué sur les rares brochures touristiques le vaste réseau de tunnels qui relie les bâtiments entres eux. En tout près de douze kilomètres de galeries et une soixantaine de boutiques. Ce qui étonne, c'est le nombre impressionnant de restaurants. Tout y est décliné en fast food : soul food (Charly's B-B-Q), sea food et cuisine cajun (Papadeaux), mexicain, chinois… Le choix est vaste, au point que la part laissée aux autres commerces semble restreinte : quelques boutiques de fringues, une librairie, un opticien… Pas la peine de rêver, ce n'est pas ici que je trouverai un disquaire. Je me console en achetant quelques chemises chez Foley's, le grand magasin sur Main Street, sorte de Galeries Lafayette locale.

Déjà 19h. Le temps de dîner, de prendre une douche et Katthy, mon chauffeur, m'attends au pied de l'hôtel. Je lui ai réservé une surprise, un exemplaire de la réédition des faces Fame de Candy Staton. Elle est touchée par l'attention et apprécie le disque qu'elle écoute sur son lecteur. Ce soir nous avons rendez-vous avec Step Rideau qui joue tout les lundis au Diallo's sur Dixie Drive. Sur le plan l'endroit semble moins loin que le CC Hidehout. Direction plein Sud via la 288. Sortie sur Holcombe road, puis Almeida pour retrouver la fameuse Dixie. Pourtant nous nous perdons, reprenons trois fois la 288, ratons Holcombe, finissons tant bien que mal par retrouver Almeida et arrivons enfin sur le lieu. Rien avoir avec le CC's. Le Diallo's est une construction en dur avec un grand parking et une belle enseigne rouge entre deux palmiers lumineux.

J'entre dans le club et paye mon droit d'entrée. Les hôtesses sont intriguées et me questionnent sur la raison de ma venue. Lorsque je leur explique que j'ai traversé l'Atlantique pour voir Step Rideau, elles m'emmènent aussitôt à lui. Au passage je jette un coup d'œil rapide sur la salle au mauvais goût certain. Moins de décorations que pour le CC's mais la présence de drôles de fauteuils à roulettes en peaux de zèbre vernis. Sur la droite une imposante scène surélevée. De part et d'autres des écrans de télévision diffusent en boucle une émission sur les prouesses de chiens savants. J'arrive devant Step Rideau, petit homme le chapeau vissé sur la tête, la chemise échancrée montrant ces biceps. Nous discutons quelques instants mais le barrage de la langue se fait cruellement sentir. J'arrive néanmoins à lui faire comprendre que je possède tous ses disques et que mon préféré reste I'm So Glad, formidable essai mélangeant musique créole et sons urbains, ballade rnb, soul et rap. Step devant se préparer pour le show je m'installe confortablement dans un des sièges face à la scène.

Un homme d'une cinquantaine d'année m'aborde. Il m'avait déjà repéré au CC's mais n'avait pas eu le temps de venir me parler. Il m'invite à sa table où se trouve déjà une femme d'age mure à la chevelure blonde impeccablement permanentée. J'explique de nouveau les raisons de mon voyage, mon amour du zydeco et mon désir d'aller dans les différents clubs de Houston pour l'écouter. Son visage s'illumine lorsque je sors un papier détaillant les lieux et les dates de concerts de la bayou city. L'homme s'appelle Joe Norman et il est l'auteur du site internet sur lequel j'ai puisé toutes mes informations. J'évoque naturellement les musiciens qui sont venus nous rendre visite en France : Buckwheat en 90, C.J. Chenier, Geno Delafose et Roy Carrier l'été dernier à l'occasion du festival de Saulieu en Bourgogne. C'est au tour de la femme de sourire. Elle s'appelle Jean et me dit être une des sœurs de Roy !

Joe Norman
Joe Norman

Pendant ce temps l'orchestre commence à jouer. Step attaque un Tee Black et comme pour le CC's la salle commence à se remplir. Les couples viennent aussitôt se former au contact de l'orchestre. Est-ce le fait d'être plus proche de la piste ? Il me semble que les danseurs sont encore plus impressionnants qu'au CC's. C'est dans la façon de bouger leurs corps, de swinguer au rythme de la musique. Cette imagination dans l'improvisation, cette invention de nouveaux pas, de nouvelles figures, me laissent sans voix. Step enchaîne les morceaux droit comme un piquet, un sourire radieux sur le visage, le pied droit tapant constamment le sol. Il puise exclusivement dans son propre répertoire : Steppin' on, Standin' room only, I'm so glad en mon honneur… Une seule reprise, Zydeco boogaloo de Fernest Arceneaux, mais aussi trois nouvelles compositions de son nouvel album à venir, et une version créole incroyable de… Sex machine !

 

Minuit et demi. Le concert s'achève et après trois heures de musique je m'apprête à partir lorsque Joe m'avertit qu'il ne s'agit que d'une première partie ! Taxi oblige, c'est le cœur serré que je quitte le Diallo's, avec la promesse de revoir Joe dans deux jours. Mais sur le retour une surprise m'attend. Sachant mon amour pour le zydeco Katthy, mon chauffeur, m'a fait une copie d'un disque de Brian Jack. C'est avec cette musique que je rentre à l'hôtel. Les habitants de Houston sont vraiment formidables.