Sixième jour

Coup de fil dans ma chambre. Joe Norman a décidé d'avancer l'heure de notre rendez-vous en raison des risques de perturbation du trafic routier. En route pour aller voir Classie Ballou à Austin. Avant nous récupérons une charmante passagère, excellente danseuse comme je m'en rendrai compte plus tard. Ca bouchonne sec à la sortie de Houston. Gros ralentissements et circulation sur deux voies au lieu des cinq habituelles. Il faut normalement deux heures pour arriver à notre destination. Nous en mettrons un peu plus de trois.

Qu'à cela ne tienne, la conversation va bon train. Joe me fais écouter le dernier disque de J Paul Jr, Diary of a Zydeco Rebel. Comme souvent chez lui le disque commence par l'introduction grandiloquente d'un MC nous annonçant un bouleversement dans le monde du zydeco, d'un changement radical et qu'on va voir ce qu'on va voir. Un riff d'accordéon, un rythme binaire – frottoir et batterie à l'unisson – puis le chant de J Paul Jr et une nouvelle phrase au diatonique pour conclure. Les morceaux s'enchaînent les uns après les autres sans qu'il soit possible de faire de distinction entres eux. A un moment quelqu'un récite un poème. Seule la dernière chanson, une reprise méchamment funky de Curtis Mayfield enregistrée en public (It's All Right) se révèle excitante.

Le disque suivant est plus intéressant, faisant découvrir Lil Porter & the Zydeco Hustlers, un ancien membre de l'orchestre de J Paul ayant décidé de faire une carrière solo : double kicking et rythme funky de rigueur pour cet adepte du nouveau zydeco. Je fais également découvrir quelques disques, Brad Randell et les Zydeco Flames, le fameux groupe californien.

En même temps Joe me fais un descriptif de la scène actuelle. Les musiciens au top actuellement dans le cœur des créoles sont Chris Ardoin et Keith Frank. Brian Jack est le jeune qui monte et est en passe de les rejoindre. Au contraire Step Rideau est en perte de vitesse, mais il compte bien reconquérir le public avec son nouveau disque qui doit paraître bientôt. Après avoir été longtemps au top J Paul Jr a lui aussi perdu beaucoup de son prestige. Aujourd'hui cependant il en train de remonter dans les goûts du public. Enfin deux petits nouveaux arrivent en force, bien décidés à se faire une place au soleil. Le premier est Curley Taylor, fils de Jude et neveu du guitariste Lil Buck Senegal. Le second est Cedryl Ballou que nous allons voir ce soir, petit-fils de Rockin' Sidney et du guitariste Classie Ballou.

 

L'arrivée à Austin se fait sans encombre et nous nous garons dans un parking le long de South Congress avenue, une grande rue en côte noire de monde. Apparemment c'est l'endroit branché de la ville : public jeune et majoritairement étudiant semble-t-il. De chaque coté diverses boutiques devant lesquels jouent des groupes de blues, de rock, de musique irlandaise… Nous nous arrêtons à un magasin d'antiquités au doux nom exotique, Rues Antiques.

Un groupe de musique celtique termine de jouer. Sur le coté attends la famille Ballou au grand complet. Classie, le patriarche, et sa femme qui tient la « boutique » : disques, photos et calendriers. A leurs cotés Cedric (le fils), CaCean (la sœur), CameRon (le petit cousin) et Cedryl (le petit-fils). En me voyant Classie a un regard étonné. De toute évidence il m'a déjà vu quelque part mais ne sait plus où. Lorsque je me présente et que je lui parle de notre première rencontre à Périgueux son sourire s'élargie et il me tombe dans les bras !

La famille prend place maintenant devant le magasin pour un concert en pleine rue. D'entrée Cedryl m'impressionne par son aisance et son sens de la communication. Il sait attirer l'attention, possède un véritable charisme et sait jouer avec le public. Son jeu est brut, direct et puise autant dans le répertoire traditionnel (La petite ou la grosse) que dans ses compositions personnelles (Eye of the Tiger) avec une grosse influence de Keith Frank. Derrière l'accompagnement est sans faille. Le jeu de CaCean est métronomique, Cedric assure à la basse et aux harmonies vocales. Quand au grand-père, il « pompe » méchamment à la guitare, assurant une rythmique swingante avec un usage jouissif de la pédale wa wa. L'effet sur les gens est immédiat. Les couples se forment et commencent à danser à gauche de la scène. Un danseur attire mon regard plus particulièrement. Je reconnais Harold Guillory, l'ex-frotteur de Chris Ardoin.

Vers la fin du concert Cedryl quitte la scène et laisse la place à Classie. CameRon se met à la batterie et c'est l'autre surprise de la soirée. L'enfant a seulement 5 ans et c'est déjà un excellent batteur. C'est ému que je regarde le petit fils et le grand père jouer ensemble un répertoire traditionnel de blues (excellent Down Home Blues). La musique est finie. La famille range le matériel. Je sourie en voyant CameRon jouer avec l'accordéon de Cedryl. Oui vraiment, l'avenir du zydeco et d'ores et déjà assuré.

CameRon Ballou
CameRon Ballou